Richard Ritt
Ex-pilote de chasse Aujourd’hui nous échangeons avec Richard Ritt. Nous le rencontrons pour découvrir non pas un dirigeant d’entreprise de la société civile mais un ancien pilote de chasse issu du monde militaire. Son expérience lui a apporté une vision du leadership dans les airs. Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter votre cheminement professionnel ? Depuis mon plus jeune âge j'ai toujours rêvé de voler, cette passion va m'amener à faire de nombreuses expériences aériennes : deltaplane, planeur, parapente, parachutisme, voltige, avion de chasse, avion de ligne… tout ce qui tenait l’air m’inspirait. Pilote de chasse durant 16 ans, instructeur en ravitaillement en vol et combat aérien, j'ai été membre de l’escadron 3/11 Corse de déploiement rapide, ce qui m’a amené à réaliser de nombreuses missions à travers le monde. (6 séjours en Afrique, missions en Norvège, au Brésil, en Turquie). J'ai également eu l'occasion de participer à l'exercice RED FLAG qui engageait 500 avions de combat (dont 4 avions français) dans un entraînement à grande échelle en plein désert du Nevada. J'ai passé ensuite 3 ans à l’escadron de transformation tactique de la Luftwaffe à Munich dans les fonctions de pilote-instructeur (langues de travail = anglais et allemand) avant de faire une expérience en compagnie aérienne. Plus tard, diplômé de l’ESCP Europe et de l’EM Strasbourg (Master de gestion d’entreprise ) j'ai exercé des fonctions de cadre supérieur dans une PME, un groupe suédois et chez WL Gore (marque Gore-Tex®, 10 000 employés), un groupe réputé pour la grande liberté d'action des collaborateurs et des équipes. La réputation de ce groupe sans hiérarchie m'a amené à intervenir dans de nombreuses entreprises, associations et grandes écoles pour présenter ce modèle unique au monde. A quoi ressemble votre univers de travail de pilote de chasse ? C’est une grosse galère, on rame tous les jours. Les heures de vol coûtent cher, il y a une grosse pression. Nous réalisons des missions denses, difficiles. Tous les soirs, on rentre avec des gros doutes. Ce n’est pas l’image du pilote de chasse véhiculée dans les films. On se pose la question si l’on reste et puis tous les jours nous éprouvons la satisfaction de passer une étape. Cet environnement hostile crée une cohésion entre les pilotes d’escadron. Nous sommes soudés car nous évoluons dans un univers très dur. L’environnement est hyper complexe avec une réglementation très lourde. La communication au sein d’un escadron est également complexe car tout se passe à une vitesse ultra-rapide et il faut se coordonner à plusieurs, il faut être précis dans sa communication. L’effort mental est soutenu et l’effort physique également avec un facteur de charge de 5 à 7G, soit 5 à 7 fois son poids à supporter dans les virages par exemple. La durée maximum d’une mission de combat aérien est de 30 minutes tellement l’effort est intense. Ce n’est pas de la rigolade. Bien sûr, il y a des moments magiques, il y a 10% de moments géniaux. Survoler la planète, seul dans son cockpit est une expérience unique, indescriptible, Je n’oublierai jamais le survol de la forêt équatoriale, un moment suspendu, hors du temps. Ou cet atterrissage dans le désert du Tchad, d’une beauté extraordinaire. Quels sont les enseignements issus de votre expérience militaire qui pourraient aider les dirigeants d’entreprise de la société civile ? Je pense qu’il faut former les gens à la dure. Pour savoir gérer le stress, il faut connaître ce que c’est. Et pour cela, il faut le vivre. En formation pour des sections d’élite, certains exercices sont risqués comme marcher à 15 mètres de hauteur sur une poutre sans filet. C’est ce qui s’appelle être dans une réelle situation de stress. On ne forme pas le GIGN avec des powerpoints… Le subconscient enregistre beaucoup de choses et cela permet de développer l'intuition. Et pour enrichir cette intuition il faut vivre physiquement les situations, ressentir dans ses tripes, pour que cela s’enregistre en nous. Dans des entreprises civiles, j’ai rarement été stressé car les situations sont finalement anodines lorsqu’on les analyse. Vivre des situations éprouvantes en formation, cela renforce. Mettre les personnes dans un scénario réel pour qu’ils soient au coeur de l’action, où l’expérience va les marquer, puis débriefer les événements qui se sont passés, cela permet de réellement les impliquer dans leur apprentissage. Le principe de Fiedler et la théorie des contingences me paraissent essentiels. Le style de leadership est corrélé à l’environnement dans lequel le leader évolue. Le contexte formate le leader : en situation de crise ou dans une session de créativité, les attitudes du leader seront différentes. Les militaires passent de nombreuses années en formation et une culture militaire va être intégrée progressivement dans leur référentiel de valeurs. La rigueur, la fermeté, la détermination… et bien d’autres feront partie de leur ADN et de leur style de leadership. On est équipier avant de devenir leader de patrouille. Il y a toujours un ou des exemples à suivre. Un leader découle de son univers et après avoir observé des exemples de leaders autour de lui, il va fonctionner comme eux. Il aura intégrer les règles explicites et au fur et à mesure les règles implicites. La culture de leadership s’exprimera notamment par le langage et l’attitude physique. A l’opposé de mon expérience militaire, chez WL Gore j’ai mis en oeuvre une posture d’un leader décontracté. La culture d’entreprise impose le style. Cela n’empêche pas qu’il y ait des points communs, peu importe le style. Un enseignement-clé est indispensable dans la posture de leader : la solidité. Un militaire, un manager doit être solide dans toutes les situations. Quand une crise explose, un manager doit absorber le stress, ne pas le transférer sur les autres, et prendre sur lui le stress de son équipe. Être solide c’est temporiser, absorber et distribuer. La solidité n’empêche pas d’être courtois. Le leader solide n’est pas un “soupe au lait”. Gueuler ou péter les plombs en situation de crise cela est la marque des faibles, un leader solide c’est tout l’opposé.